23 mars 2010

La mer

Au début, ça m’a carrément gavé. Je trouvais l’idée trop niaise, ce truc bateau dans les films franchouilles un peu intello de “on va voir la mer”. C’est leur idée de ce que les misérables désirent : ils veulent voir la mer, tu comprends, c’est tout. Comme c’est simple, comme c’est naïf, et en même temps, quelle leçon d’humilité! Ces gens qui sont si loin du cynisme de notre vie moderne, qui ont su garder un émerveillement d’enfant face aux choses du monde! Ces pauvres gens qui n’ont pas eu, comme vous, la chance de voyager, et qui sont absolument médusés par trois petites vaguelettes qui s’écrasent sur le sable!

Et ben moi, aller à Deauville, voir la mer, et ben ça me gavait. J’avais pas envie, mais pas envie du tout. Je voulais aller au Zorba, moi, histoire de continuer à me déchirer la tronche, avec des demis pas chers. J’ai toujours largement préféré Belleville à Deauville...

“Mais je veux pas aller me péter chez les bourges, moi. Et puis on a dit qu’on allait le noyer dans l’alcool, ce bébé! Dans l’alcool, pas dans la mer.”

“Pas dans la mer, dans l’océan.” Ca c’est Sophie. C’est la seule qui a le permis, d’ailleurs c’est aussi la seule qui a une bagnole, alors c’est la seule qui boit pas. Et c’est marrant, mais quand je suis pétée, je la trouve pas drôle du tout. Ou peut-être que c’est pas marrant d’ailleurs.

“Oh, c’est pareil,” je lui réponds, “c’est toujours de l’eau. De l’eau salée toute dégueulasse d’ordures balancées par tout le monde, de pétrole...”

“Putain, Reb, toujours aussi optimiste.”

“Excuse-moi, mais j’ai de quoi, moi.” Je souris large, exagéré.

Ce matin-là, donc – enfin, était-ce vraiment le matin, je ne sais plus, en tout cas ça sentait fortement la fin de nuit – et ben on l’a vraiment fait. Après chaque biture, on se lance un “allez, on va voir la mer”, et y en a forcément une qui renvoie un “chiche”, mais on l’avait jamais fait. Mais là, Sophie elle a dit, “cette fois-ci, on y va. Pour de vrai. Mais vous avez pas le droit de vous endormir, sinon je fais demi-tour, ok?” Elles ont toutes opiné du chef comme des diables en boîtes. Moi j’ai rien répondu. Pas envie d’aller à la mer. En même temps, j’avais pas non plus envie de rentrer chez moi, et puis y avait toujours cette histoire de bébé à noyer dans l’alcool. Alors j’ai juste demandé, “on peut acheter quelques bouteilles à emporter avant de partir?” Elles se sont marré.

Et donc nous voilà toutes les cinq entassées dans la Supercinq (haha, coïncidence?) de Sophie, sur l’autoroute en direction de Deauville. J’étais assise à l’arrière contre la portière droite. Je regardais la route qui défilait : champs, vaches, bois... Et là c’était carrément comme dans les films que regardait ma mère quand mon père était pas là. Ca commence, on voit que la route qui défile sur fond de musique classique. Et en surimpression, les noms des comédiens, qui s’affichent les uns après les autres, en rythme avec la musique. Plan suivant, la caméra est dans la voiture, avec la même route qui défile toujours à travers la vitre embuée. Alors comme dans le plan, je vais vous faire un peu le point sur qui est dans la bagnole.

10 février 2010

J'en ai, de la bouteille.

Ne plus mettre ce double fond entre moi et les autres, comme un film en deux langues, ou avec des sous-titres qui n’ont rien à voir avec les paroles. L’homme crée la bouteille dans laquelle il s’enferme.

Quand je m’emballe dans une conversation, je m’en veux toujours après. Je m’en veux de penser à voix haute. Je ne suis pas avec l’autre. Je ne suis pas là pour l’autre. Souvent je reste dans ma bulle et je parle à travers la paroi. Je ne pose pas de question. je ne demande rien. Je reviens au sujet de prédilection, à la necessité de prouver, montrer, démontrer par je ne sais combien de façons différentes que je suis bien là. Même derrière du verre.

Ma bouteille, je la traîne partout. Elle tinte, clinque, crisse, clique et claque, mais jamais ne se casse. J’aimerais la vendre au plus offrant, au suivant, à celui qui a besoin de se compliquer l’existence. A celui qui veut se la compliquer pour toujours, véritablement – ou au moins pour longtemps. A celui qui a vraiment, vraiment, envie de souffrir, parce qu’elle est lourde, ma bouteille. Et elle est lourde, sa souffrance. Elle est usante, elle est épuisante, tuante. Elle me fatigue, ma bouteille. Et je la trimballe depuis trop longtemps; je voudrais qu’elle fasse plaisir à quelqu’un pour Noël, qu’elle pousse un enfant à détester ces parents qui la lui ont offerte, qu’elle le pousse sur un divan pour enfin tenter de s’en débarrasser, et pendant tout ce temps-là qu’il prenne son pied à regarder le monde entier à travers le verre griffée de cette vieille bouteille. Quel doux avenir. Quelle gloire pour ma bouteille qui pourrait ainsi facilement accéder à l’immortalité, d’enfant, en enfant, en enfant...

23 juillet 2009

Willa

L’enfant sur le mur a bougé. Je l’ai vu. Il a tourné les yeux vers moi et il m’a dit, tire-toi. Je l’ai distinctement entendu. Le petit garçon sur le mur m’a parlé.
En rentrant, je l’ai dit à Willa. Elle a ri doucement, elle a levé les mains vers le ciel, l’air de dire, tu t’attendais à quoi ? Là-bas, où elle vivait, de l’autre côté de l’océan, elle me dit qu’on ne s’étonnait de rien. Que tout pouvait arriver, et que chaque chose avait une signification propre, qu'il fallait toujours tenter de découvrir. Chaque chose veut dire quelque chose. Des choses peuvent décider de ne parler qu’à une seule personne, ou à tout le monde. Et certaines personnes décident de comprendre, tandis que d’autres refusent tout de bon. Elle dit que si le petit garçon sur la fresque du mur dehors m’a parlé, c’est que je dois en comprendre quelque chose. Quand je lui demande quoi, elle hausse les épaules. Faut que je me débrouille, quoi.

Je ne sais pas vraiment comment Willa est venue à la maison. Ca fait longtemps maintenant qu’elle est là. Elle est très vieille ; elle était déjà très vieille en arrivant, et elle est encore plus vieille maintenant. Je ne sais pas quel âge elle peut avoir, mais quand on lui demande, elle dit qu’elle est née il y a si longtemps qu’elle ne se souvient même plus du visage de sa mère. C’est comme si Willa n’avait pas de parents. Elle me raconte des histoires de campagne, des histoires de l’autre côté de l’océan, elle raconte des histoires de grandes maisons vides, des maisons tout en bois, où ne vit qu’une seule famille, toutes générations confondues, des histoires de cabanes dans les arbres et des histoires de coton et de cures magiques fabriquées par des gitans qui vivent dans des roulottes. Elle me raconte des histoires folles d’une mère prophétesse qui avait quinze enfants, tous de pères différents, qui vivaient tous dans une caravane, déambulant de ville en ville, prêchant la bonne parole en musique. Elle me raconte des histoires de feux de colère, de dos courbés, de trop plein de misères, de désespérés qui montent dans un train improbable… Elle me raconte tout ça, et je n’y comprends pas toujours grand-chose, mais j’imagine. Combien c’est différent d’ici.

11 novembre 2008

Off limits...

Est-ce-que c’est moi qui provoque les choses? Ou me suivent-elles? Me suivraient-elles si je ne les poursuivais pas? Je vide l’eau dans l’évier ; il me semble que je n’aurai plus jamais soif. Ferme les yeux, et pense. Vraiment cette fois. Sincèrement. Mais il n’est pas possible de sortir seule de son cercle. C’est pour cela qu’encore une fois je le retrace derrière mes paupières closes. Il prend la forme du visage d’une enfant triste, avec des grands yeux cernés, un petit sourire las sur les lèvres. Elle semble pleine d’une sagesse résignée que j’aurais oubliée. Pleine de souvenirs que je ne conserve plus. Effacés de ma banque de données. Comme ça, aussi vite et aussi simplement. On ne se souvient plus de l’effet du temps, du temps qu’il prend, une fois qu’il a opéré son œuvre.
Dommage. Ma mémoire est capricieuse, comme une petite femme coquette, elle ne se rappelle pas son âge; ne songerait jamais à l’avouer au premier venu. Mes yeux ne savent plus ce qu’ils ont vu. Ce sourire un peu triste a disparu. Peut-être que cela vaut mieux.
Pour autant, je ne reviens pas à zéro. Une fois encore, j’ai parcouru la circonférence du cercle sans être plus avancée. Pour autant, je ne reviens pas à zéro.

Ca coule de source, comme l’eau entre mes doigts. Ca file aussi vite que l’eau, toutes ces sensations. Comme un poisson glissant, qui frétille et vous échappe alors que vous croyiez le tenir pour de bon. Difficile de dire où est le centre de nos vérités. Il semblerait qu’à force de s’empêcher de le trouver, il ait tout bonnement disparu. Coulé à pic, derrière un récif de corail. Comment le rattraper, maintenant?
“Si vous ne trouvez plus rien, cherchez autre chose”. J’aime cette phrase. Et c’est vrai. Je devrais me dire plus souvent d’aller chercher ailleurs si j’y suis. J’y serai sûrement. Puisqu’il me semble que je ne suis jamais vraiment là. Un peu des fois comme de la peinture qui s’écaille. Petits bouts blancs qui tombent au sol. Petits bouts boursouflés qui restent attachés à l’ensemble plus tenace sur le mur, de bout des lèvres, du bout de leur bout. Je m’écaille au soleil... Je m’étiole en hiver. Quelle fatigue de n’aller jamais bien. D’être toujours entre deux. Enfin, je ne dis pas ça tous les jours. Demain, je gueulerai bien fort ma joie de vivre, mon énergie et ma foi en les choses... Ma foi, en l’état des choses, je ne sais pas sur quoi elle repose. Je ne sais pas sur quoi elle repose. En effet, elle se repose. Elle dort paisiblement. Jusqu’à demain!

Les gens s’en mêlent; les gens donc s’emmêlent les pinceaux. Les gens s’emmêlent avec leurs mots. La parole est la première de toutes classifications, du fait même qu’elle nomme et différencie les choses, mais elle est le premier des détours; elle éloigne l’image qu’est la pensée. Quelle déperdition, entre les images entières que sont nos pensées dans nos têtes, et la parole qui doit la recomposer pour décrire l’image aux autres. La nuance, la nuance! C’est là qu’est toute son importance. Alors pourquoi me reproche-t-on d’être à cheval sur elle? sur la nuance, quoi! C’est vrai. Elle précise, elle éclaircit. Quoiqu’elle aussi perd. Tout détail perd, parce qu’éloigne de l’essentiel. Mais on en a bien besoin pour détailler l’essentiel... Tout ça n’a pas de sens. Ca part dans un sens, puis dans l’autre, vor, da, vor, da... Va comprendre.
Le bateau de mon esprit hors service vogue sur les rives profondes de la rivière du Nil... Le crocodile m’acueillit à gueule ouverte. Je n’en ferai qu’une bouchée, moi, de sa chair ferme d’alligator. Qu’une bouchée, avant de repartir sur les flots rassurants de ma pensée mobile. Je la laisse filer aussi vite que mes doigts sur ce clavier, et qu’est ce que c’est agréable d’avoir l’impression de ne plus penser à rien alors même que mes doigts forment des mots inutiles, mais qui sont néanmoins mes pensées. Prétentieux d’écrire. mais non! On arrête de penser quand on écrit, dans le flow (le flot!). On ne voit plus le temps passer, la conscience des choses n’est plus la même et on ne peut plus s’arrêter. Surtout ne pas retrouver l’état d’éveil habituel! Quelle déception quand on ne sent plus rien venir au bout de ses doigts.
C’est addictif l’écriture. Comme beaucoup de bonnes choses.

07 octobre 2005

Je retrouve toujours mon chemin...

J’ai dix ans. J’ai dix ans, et partout où je vais, il y a une grande femme qui m’accompagne. Parfois elle me tient la main et me sourit, et parfois elle court vite, vite, comme si elle voulait que je ne puisse jamais la rattraper.

Elle me parle comme elle se parlerait à elle-même, murmure à peine des mots que je devine plus que je ne les entend. Souvent elle semble surprise de me voir là, qui l’écoute, et elle se tait. Elle prend l’air fâché, soucieux. Comme si elle tentait de résoudre un puzzle trop compliqué.

Les gens lui parlent, les hommes lui sourient, les femmes se confient, plaisantent avec elle, discutent à l’infini. Mais jamais personne ne s’adresse à moi. Il semble que l’on ne me voie pas. Pourtant, il m’arrive, moi, de leur parler. Il semble que l’on ne m’entende pas. Parfois, la femme qui m’accompagne répète mot pour mot ce que j’ai dit, et là les gens répondent. Mais à elle, jamais à moi.

Quand elle redit mes mots, ça ne sonne jamais pareil que quand c’est moi qui parle. Elle prononce pourtant les mêmes mots que moi, mais avec un ton, une voix, une assurance si différentes de ma façon de parler que ça sonne tout autrement. J’ai envie de lui dire qu’elle arrête d’être aussi prétentieuse ; ce qu’elle dit reste les paroles d’une petite fille de dix ans, même si elle les répète avec sa voix d’adulte.

Mais elle ne m’entend plus. Elle ne me regarde pas. Pas un coup d’œil, pas un geste vers moi. J’ai peur qu’elle ne se remette à courir, alors je reste tout contre elle, tout près. Je la scrute, je l’observe. Je reste sur le qui-vive, les genoux fléchis, le buste en avant, prête à courir moi aussi dès que je la sens qui démarre.

Mais non. Elle reste assise. Parle au monsieur en face d’elle avec des petits sourires cachés et des œillades en coup de vent. Moi j’en ai marre d’être assise-là à côté d’elle. Je balance mes jambes pour passer le temps, d’avant en arrière. D’arrière en avant, l’une, puis l’autre. Ca me fait du vent dans les mollets. Je regarde encore ma compagne de tous les jours. Sa main droite agrippe tout à coup son genou, comme si c’était ses jambes qui balancaient, et qu’elle voulait les arrêter de force. Ca me fait rire. Je ne vais pas m’arrêter pour autant, tu sais, je lui lance. J’aime bien la taquiner des fois, quand elle semble se confondre avec moi.

Je sens presque son cœur à elle qui bat tout vite. Ca l’agace, mes aller-retours de jambes sous la banquette du café. Tant mieux ; j’ai envie de sortir d’ici, moi. On étouffe là-dedans. Elle passe deux doigts sur le col de sa robe. Inspire profondément. Le monsieur en face semble captivé par son geste ; leur conversation fragile bute sur un silence difficile.

Je me mets à chantonner. J’irais bien faire un tour au parc. Qu’est-ce-qu’on s’ennuie, ici ! Mais elle n’a pas envie de partir. Je le vois bien. Elle tourne sans cesse sa cuillère dans son café ; le monsieur en face d’elle joue bêtement avec l’emballage en papier de son morceau de sucre. D’un coup, alors que je fredonne de plus belle, pour l’embêter, pour capter son attention, il lève les yeux vers elle.

Il la regarde, complètement captivé, avec un regard de toutou joyeux. Mais qu’est-ce-qu’on fait là, moi je lui dis. Il est ridicule ton copain ! De toute façon, les garçons, c’est tous des idiots ! Et lui la regarde. Qu’est-ce-donc que vous chantonnez… C’est si joli… Je lui ris au nez. Mais c’est moi qui chante ! Tu vois bien, que ce sont tous des idiots ! Elle répond, sans prendre compte de moi, sans même me regarder, que c’est une berceuse de son enfance. Je tente de la toiser, mais c’est difficile d’avoir l’air menaçant quand je dois me tordre le cou en deux pour voir son visage ! Eh ! T’as pas le droit, je lui dis. Tu m’as piqué ma chanson. Pourquoi tu lui dis pas que c’est pas toi qui chante ? C’est pas juste. Je décide de bouder. C’est pas juste. C’est toujours comme ça. Tout ce que je fais, elle se l’attribue. Mais quand ça lui plaît pas, elle se met à courir comme une dératée pour essayer de me semer.

Qu’est-ce-qu’ils ont l’air idiot, tous les deux ! Qu’est-ce-que t’as l’air bête, je lui dis. Tu veux pas plutôt qu’on aille jouer au parc ? Elle ne me regarde pas, mais je la vois qui rougit un peu. Pardon, je me sens bête, dit-elle au monsieur. Vous voulez bien qu’on aille marcher un peu ?

T’es trop bête, je lui dis. Allez on s’en va, alors ? Je l’entends en écho de moi qui répète, comme un canon, on y va ? Le monsieur se lève, laisse de la monnaie sur la table pour payer les cafés. Moi j’ai rien eu le droit de boire, moi. On m’a même pas proposé. Mais j’aurais préféré une menthe à l’eau. Le café, c’est bien trop amer. J’ai le nez qui se fronce rien que d’y penser. Je sais pas comment ils font pour boire ça. On pourra pas me faire croire que c’est vraiment par goût. Mais bon, de toute façon, mon avis elle s’en moque. Elle me le demande jamais. Pas que ça m’empêche de lui donner. Je vais lui dire que moi je préfère la menthe à l’eau. Sans hésiter. Je vais lui dire que j’en ai marre de ses cafés dégueulasses. Surtout le matin, avec une cigarette. Berk.

Mais pas maintenant. Je suis trop contente qu’on soit enfin sorti de cet atroce endroit, qu’on se retrouve à l’air libre. Je cours dans tous les sens pour me dégourdir les jambes. Je la sens qui se retient de faire pareil. Aha ! Toi aussi t’as envie de courir dans tous les sens, hein ! Mais t’es un grande toi, t’as pas le droit de faire des trucs comme ça dans la rue. Et puis tu veux impressionner ton garçon, avoue ? Ca serait pas terrible qu’il te voie gambader avec moi, hein ! Ha ha ! Tant pis pour toi, moi je vais pas me priver pour autant. Je la vois qui fronce les sourcils. Je la vois qui expire fort, comme contrariée. Mais elle ne dit rien. Le monsieur lui propose son bras. Elle glisse sa main dans le creux de son coude, sourit timidement. Je lève les yeux au ciel et soupire. T’as qu’à battre des paupières aussi pendant qu’on y est !

Mais quand même, c’est plutôt chouette de se ballader comme ça. Bientôt, elle pose son autre main sur son avant-bras, et on marche. Moi devant, derrière, tout autour comme je sautille dans tous les sens, eux qui marchent droit, doucement, tendrement. En silence, mais je les sens contents d’être ensemble comme ça. Et puis comme moi j’ai eu ce que je voulais, et bien je les embête pas.

On entre dans un grand parc, avec des allées de gravier et de grandes pelouses tellement vertes que ça fait presque mal aux yeux. Au centre des allées qui convergent, une grande fontaine de pierre, avec un haut jet qui retombe en corolle dans le bassin. Je souris ; enfin je vais pouvoir m’amuser ! Les deux ont l’air très occupé, moi je vais aller me rafraîchir un peu. Je vais m’agenouiller près du rebord en pierre de la fontaine. Je regarde les canards qui barbottent dans l’eau. J’y plonge la main, pour voir s’ils viennent près de moi. C’est tout frais. C’est bon. Bientôt, je vois ma compagne et son monsieur qui viennent s’asseoir sur deux chaises près de la fontaine. Ils discutent à peine, mais se regardent et se sourient ; ils se tiennent la main. Se penchent l’un vers l’autre pour se dire des mots tout bas.

Quoi ? Quoi, qu’est-ce-que vous dites ? Tu veux pas que je vous entende c’est ça ? Quoi ! Allez, vas-y, dis-moi ! Je lui gambade tout autour, en chantant, oh, la menteuse, elle est amoureuse… Oh la menteuse, elle est amoureuse ! Je me penche vers elle, pour l’embêter un peu… Tu vas faire des bébés avec lui, dis ? Hein ? C’est ça que tu veux faire, pas vrai ? Le monsieur lui parle. Je la sens qui tente de se concentrer sur ce qu’il dit, mais je ne lui laisserai pas le temps de l’écouter. Je continue à lui chanter dans les oreilles, à la taquiner parce qu’elle a le béguin pour un garçon, la honte ! Pardon, dit-elle au monsieur, qu’est-ce-que vous disiez ? Non, je disais juste que vous chantez souvent ! C’est amusant. Ah ! Ah oui, c’est vrai. Je suis toujours en train de fredonner quelque chose ; mais je ne sais pas pourquoi j’ai cette chanson-là dans la tête… C’est sorti de nulle part. C’est moi, c’est moi qui chante, je dis. Et je lui volète toujours autour comme une mouche, je la taquine, je la charrie, je lui chante encore dans les oreilles. Elle devient de plus en plus rouge, elle a les yeux qui se balladent. Tu te débarrasseras pas de moi, tu sais, je lui dis. Même si tu lui fais des bébés.

Mais on s’est même pas encore embrassés ! S’exclame-t-elle d’une voix toute plaintive. J’éclate de rire. Lui est surpris. Elle aussi, de m’avoir parlé à haute voix. Puis il lui sourit, se penche vers elle. Je n’osais pas, mais j’en meurs d’envie, dit-il. Elle, gênée, décontenancée, me jette un coup d’œil haineux. Mais les lèvres du monsieur se posent sur les siennes, et ses yeux se ferment. J’entends même un petit gémissement, comme une protestation que meurt aussitôt sur ses lèvres.

Je suis hilare. Elle est amoureuseuh, elle est amoureuseuh ! Je crie en lui tournant autour. Le baiser se prolonge, les bouches s’ouvrent, les langues se mêlent. Ah, ça suffit maintenant, je lui dis, vous êtes dégoûtants ! Elle passe sa main sur sa nuque, froisse ses cheveux de ses doigts. Elle soupire, plonge encore plus dans le baiser. Je les regarde. Eh ! Et moi, alors ? Marre de tenir la chandelle. Je crie vers elle, mais tu vas arrêter, oui ! C’est dégoûtant ce que tu fais ! T’es qu’une grosse cochonne ! Comme ça devant tout le monde ! Et moi, je fais quoi pendant ce temps, hein ? Aller, y en a marre, maintenant ! Y en a marre, allez viens on s’en va ! On est mieux toutes les deux, de toute façon. Mais t’arrête, oui ? C’est dégoûtant ! Je t’entend même lui avaler sa salive ! Allez, arrête !

Et puis soudain, il se retire du baiser. Arrache son visage à ses caresses. Aïe ! Mais t’es pas bien ? Il passe son pouce sur le coin de sa lèvre. Il saigne. Elle porte sa main à sa bouche, signe de contrariété, de surprise. De honte. Mais pourquoi tu m’as mordu, dit-il. Ca va pas, non ? Je suis pas contre un peu de passion fougueuse, mais là faut pas exagérer. Je sens qu’elle me maudit intérieurement. Mais je suis plutôt contente de moi. De toute façon, les garçons c’est tous des idiots, je lui répète. Elle regarde par terre. Excuse-moi, je suis un peu nerveuse. Je me suis un peu trop laissée aller. Et ben oui, c’est le moins qu’on puisse dire ! Tu t’es laissée aller !

Pardon. Elle se tord les mains sur ses genoux. Je suis vraiment désolée. Mouais, dit-il, pas très convaincu, l’air de pas trop savoir quoi faire maintenant. C’est moi qui coupe court au silence hésitant. Sinon je vois bien qu’on va y passer la nuit. Bon, viens, on y va. Elle se lève. S’excuse encore auprès de lui. Il ne sait pas trop quoi dire. Dit que ce n’est pas grave, vraiment, que ça l’a surtout surpris, mais que ce n’est pas grand-chose.

Oh, non ! Il faut qu’on s’en aille tout de suite, sinon il va réussir à la convaincre de rester, et moi je vais devoir rester plantée là à les regarder pendant je sais pas combien de temps. Plus jamais ça ! Marre. Je lui tire la main. Allez, on y va ! J’ai pas envie de rester ici ! Elle le regarde. Clairement elle hésite. Je tire de plus belle. Allez, on rentre à la maison, ce sera mieux, ok !

Elle penche la tête. Regarde à terre. Je vais rentrer chez moi, je crois que c’est mieux. Pardon. Je suis vraiment désolée de ce que j’ai fait. Il se lève aussi, lui prend la main. Mais non, vraiment, c’est moi qui suis désolé. T’en vas pas… C’est pas grave ! C’est moi qui demande pardon, d’avoir réagi comme ça. C’est pas grave. Je secoue la tête. Elle secoue la tête. On s’en va, je dis. Je m’en vais, elle dit. Reste, il dit. Pardon, répond-elle. Je peux au moins t’appeler dans les jours qui viennent, il dit. Je secoue la tête. Elle hoche la tête tout petit. Elle serre son sac tout contre elle, dit au revoir d’une voix qui coince dans la gorge, alors que je tire encore sur sa robe. Allez, on y va !

Et en effet, on y va. Elle marche vite dans les allées du parc, pressée d’en sortir, semble-t-il. Plus pressée que moi maintenant d’être loin d’ici. Allez, casse-toi, marmonne-t-elle. Tu t’es rendue assez ridicule pour aujourd’hui. C’est à moi que tu parles, je dis. Je suis même pas ridicule, d’abord. C’est toi qui te rend ridicule à courir après ce garçon trop nul. Elle s’attrappe la tête au front, d’une main qui comprime, et lâche entre ses dents, ça suffit, maintenant ! Ca suffit. Je préfère me taire. Rester un peu derrière elle. J’ai peur qu’elle ne se remette à courir. Elle continue de marmonner. J’en ai marre de toi, dit-elle, mais trop marre ! Quand tout se passe bien, tout, tu peux pas t’empêcher de te prendre le chou pour rien ! Qu’est-ce-qu’il t’a fait, lui ? Rien du tout ! Et tu vas lui arracher la lèvre. Ras-le-bol. J’en ai marre, merde ! Je me tais, prudente, parce que je vois bien qu’elle est fâchée contre moi. Alors je fais profil bas.

On passe les grilles noires du parc. On se retrouve dans la rue, avec les voitures qui grondent en passant à toute bombe, les groupes de passants qui parlent toutes les langues. Elle traverse la rue, la remonte sous les arcades. Elle évite de justesse les gens, les étalages des boutiques. Marche toujours aussi vite. Je tente de me frayer un passage tant bien que mal derrière elle, mais je peine à me faufiler entre les jambes des gens indifférents, et elle prend vite de l’avance. Attends-moi, je lui crie ! Attends-moi, j’arrive pas à marcher aussi vite que toi ! Elle ne fait absolument pas attention à moi. Ne m’entend pas, ne m’attend pas. Mais attends, je crie encore. Elle s’éloigne; je vois sa robe claire qui disparaît au loin entre les gens. Attends moi ! Mes yeux me piquent, ma poitrine se serre tout doucement. Je respire mal. Attends ! Où tu vas ! Me laisses pas toute seule ! Je crie, mais je ne la vois plus. Je ne la vois plus. Elle a disparu. Elle m’a laissé derrière. Mes yeux piquent et mouillent, et je sens les larmes qui coulent. Et j’ai mal au cœur, et je suis toute seule, et personne ne me vois, et de toute façon, je ne veux que ma grande personne qui m’accompagne toujours. Les autres, je m’en fiche.

Je m’assied sur un pas de porte. Je reprend mon souffle peu à peu. J’appuie ma tempe contre le mur froid. Je soupire. Renifle. Elle est partie sans moi. Peut-être qu’elle était trop en colère contre moi. Mais j’avais raison, de toute façon. C’était un idiot, l’autre. J’ai rien fait de mal. Et même, c’est pas une raison pour me laisser toute seule comme ça. Je ferme les yeux, m’appuie plus confortablement contre le mur. Qu’est-ce-que j’ai d’autre à faire qu’attendre, de toute façon ? Elle avait pas le droit de me laisser toute seule comme ça. Elle s’occupe jamais de moi, d’abord. Je me détend petit à petit, tout en grommelant contre elle.

J’ai du m’endormir, parce que je me réveille. Je me réveille, et je suis dans son lit, chez elle. Il fait noir, tout noir, et elle dort à côté de moi. Sommeil agité, elle se retourne de tous les côtés. Je l’entends qui murmure dans son sommeil. Toujours là, dit-elle.

J’enfonce ma tête dans l’oreiller, je respire profondément, heureuse d’être rentrée. Je me tourne vers elle et lui souris. Bien sûr que je suis toujours là. Tu vois, tu peux courir autant que tu veux, ça n’y changera rien du tout. Je retrouve toujours mon chemin.

20 avril 2005

une minette sachant mineter...

Y a des fois j'aimerais être une minette. Une vraie minette, avec la peau délicatement veloutée, les lèvres charnues et la coupe Tony and Guy, avec la mèche sur le côté. Une vraie minette, avec le petit jean taille basse, les petites fesses pour aller dedans et les petites baskets pour marcher dedans. Mais j'ai pas la patience, et j'ai pas les réflexes. Parce qu'une minette, ça sait pas que c'est une minette. Ca n'a pas conscience d'être une minette, une minette. Ca réfléchit pas que c'est une minette, et que pour être une minette comme elle, il faut ça ça ça et ça dans sa panoplie. Non, ça se construit automatiquement sa panoplie de minette, sans même avoir à y penser (c'est ça qu'est beau, tu vois). Automatiquement (en faisant comme les copines quoi!) elle se sappe comme une minette, automatiquement elle se coiffe se chausse se farde se la pète comme une minette. Je dirais presque qu'elle y est pour rien la minette, si elle est comme ça. C'est une minette, après tout! C'est pas sa faute à elle... Et les minettes qui savent qu'elles sont des minettes, c'est plus des vraies minettes. Une vraie minette est forcément clueless quant à sa minettitude. Celle qui ne l'est pas, c'est une wannabe-minette. Une pseudo-minette. Celle qui découpe dans les magazines les bonnes adresses pour acheter son jean taille basse. Et ça... Non! La vraie minette sait instinctivement où s'acheter le dernier jean indispensable! Elle le sent, la minette, elle peut le renifler dans la brise parisienne. Le vent ça lui parle, à la minette. Ca lui souffle direct dans la tête...
Ouhla, mais je suis aigrie moi! A mon âge, déjà, c'est dommage. Ce serait bien plus simple si j'étais une minette. Je serais pas aigrie, et je me prendrais pas le chou sur le fait de l'être. Ouais, vraiment beaucoup plus simple. Y a des fois j'aimerais vraiment être une minette.

11 avril 2005

L'internationale dans tes reves...

Ai rêvé cette nuit de robots communistes. Un travail hérculéen (stakhanovien devrais-je dire) à remplir pour le parti, mère de tous les robots, avec des catalogues, qui répertorient les robots les plus productifs, ceux qui ont abattu le plus de travail en un record de temps, pendant le plus longtemps... Travail, travail... Ca n'en finissait plus... Des piles de lavages, de réparages, des robots à la chaîne, et j'étais parmi eux... Ce n'était plus herculéen, c'était Dantesque, toute cette masse de ferraille dans des souterrains interminables qui martelait, soudait, piochait, vissait, boulonnait, écrouait... Argh! Au secours! Même réveillée, ils me collaient sous les paupières. Pas possible de m'en sortir. Ca me rappelle les nuits de sommeil agité après le travail au bar... Des piles de verres à servir, d'autres à nettoyer, un amas de gens pas contents à servir, les additions à calculer, le patron en rogne à éviter... ouille. Ca ferait un sacré jeu vidéo, ça!

Les robots communistes. Toutça parce que je suis allée voir Robots le film hier... Et eux combattaient les méchants robots capitalistes! Sus à l'ennemi! Ha. Mais c'est comme dans mon rêve. C'est les mêmes. C'est peut-être ça qui me flippe. Et dire que je fais des cauchemars après un dessin animé... Moi... A mon âge...