23 mars 2010

La mer

Au début, ça m’a carrément gavé. Je trouvais l’idée trop niaise, ce truc bateau dans les films franchouilles un peu intello de “on va voir la mer”. C’est leur idée de ce que les misérables désirent : ils veulent voir la mer, tu comprends, c’est tout. Comme c’est simple, comme c’est naïf, et en même temps, quelle leçon d’humilité! Ces gens qui sont si loin du cynisme de notre vie moderne, qui ont su garder un émerveillement d’enfant face aux choses du monde! Ces pauvres gens qui n’ont pas eu, comme vous, la chance de voyager, et qui sont absolument médusés par trois petites vaguelettes qui s’écrasent sur le sable!

Et ben moi, aller à Deauville, voir la mer, et ben ça me gavait. J’avais pas envie, mais pas envie du tout. Je voulais aller au Zorba, moi, histoire de continuer à me déchirer la tronche, avec des demis pas chers. J’ai toujours largement préféré Belleville à Deauville...

“Mais je veux pas aller me péter chez les bourges, moi. Et puis on a dit qu’on allait le noyer dans l’alcool, ce bébé! Dans l’alcool, pas dans la mer.”

“Pas dans la mer, dans l’océan.” Ca c’est Sophie. C’est la seule qui a le permis, d’ailleurs c’est aussi la seule qui a une bagnole, alors c’est la seule qui boit pas. Et c’est marrant, mais quand je suis pétée, je la trouve pas drôle du tout. Ou peut-être que c’est pas marrant d’ailleurs.

“Oh, c’est pareil,” je lui réponds, “c’est toujours de l’eau. De l’eau salée toute dégueulasse d’ordures balancées par tout le monde, de pétrole...”

“Putain, Reb, toujours aussi optimiste.”

“Excuse-moi, mais j’ai de quoi, moi.” Je souris large, exagéré.

Ce matin-là, donc – enfin, était-ce vraiment le matin, je ne sais plus, en tout cas ça sentait fortement la fin de nuit – et ben on l’a vraiment fait. Après chaque biture, on se lance un “allez, on va voir la mer”, et y en a forcément une qui renvoie un “chiche”, mais on l’avait jamais fait. Mais là, Sophie elle a dit, “cette fois-ci, on y va. Pour de vrai. Mais vous avez pas le droit de vous endormir, sinon je fais demi-tour, ok?” Elles ont toutes opiné du chef comme des diables en boîtes. Moi j’ai rien répondu. Pas envie d’aller à la mer. En même temps, j’avais pas non plus envie de rentrer chez moi, et puis y avait toujours cette histoire de bébé à noyer dans l’alcool. Alors j’ai juste demandé, “on peut acheter quelques bouteilles à emporter avant de partir?” Elles se sont marré.

Et donc nous voilà toutes les cinq entassées dans la Supercinq (haha, coïncidence?) de Sophie, sur l’autoroute en direction de Deauville. J’étais assise à l’arrière contre la portière droite. Je regardais la route qui défilait : champs, vaches, bois... Et là c’était carrément comme dans les films que regardait ma mère quand mon père était pas là. Ca commence, on voit que la route qui défile sur fond de musique classique. Et en surimpression, les noms des comédiens, qui s’affichent les uns après les autres, en rythme avec la musique. Plan suivant, la caméra est dans la voiture, avec la même route qui défile toujours à travers la vitre embuée. Alors comme dans le plan, je vais vous faire un peu le point sur qui est dans la bagnole.